J’entre dans la pièce. Tu me fais face, assise derrière une table destinée à faire respecter la distance obligatoire.
Le regard hagard, les yeux dans le vague, tu ne réagis pas à mon entrée dans la pièce.
D’autres familles se retrouvent elles aussi derrière des parois trop fines. On entend le murmure de leurs timides retrouvailles.
- Tu me reconnais ?
- Évidemment que je te reconnais.
Tes mains parcourent la table comme si elles cherchaient un relief dans la platitude. Ils t’ont mis du vernis à ongles. Ça se prête bien au contexte puisque tu vas danser tous les dimanches avec tes amies. Tu bois un verre, mais tu ne fumes pas. Et puis tu as croisé une connaissance que tu n’avais plus revue depuis longtemps. Ça t’a fait plaisir. Et tu me parles d’un secret. D’une chose que tu ne peux pas dévoiler. Et tu pars dans un long voyage au fond de tes pensées. Quelques mots s’en échappent, mais ils n’ont de logique que pour toi et ton esprit embué. Une demi-heure c’est long à te regarder sombrer. Le personnel arrive à la porte. Ils viennent te rechercher pour te conduire à ta chambre. Je repars et te laisse à ta prison dorée. Ce ne sont pas ces murs qui t’enferment. Au contraire, ils te protègent et les gens qui s’y trouvent te bichonnent. Et puis tu n’as jamais été aussi heureuse que depuis que tu peux retourner danser avec tes copines.
Dans ta tête du moins.
Ton geôlier s’appelle Alzheimer.
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