Le Village du Livre de Fontenoy-la-Joûte (54) organise chaque année un concours d'écriture.
Le thème de 2024 était "un mot m'a raconté".
A partir de ces quelques mots, j'ai laissé mon imaginaire galoper et m'emmener dans sa course folle.
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Un mot m'a raconté...
A l'arrivée, le texte parlait d'un mot qui fait une transition de genre et qui devient lettre. S'en suit une querelle entre les mots et les lettres sur fond de calembours. Les mots et les lettres, personnifiés dans le texte, appellent à la réflexion sur la liberté d'exprimer qui l'on est et rappelle la possibilité qui se trouve à portée de main de sortir des cases où l'on veut nous enfermer. J'y vois un appel au rire, à la vie et à la tolérance.
Derrière les pirouettes verbales se cachent quelques notes d'humour à qui prendra le temps de les débusquer, car je dois bien le reconnaître, ce texte n'est pas des plus légers à digérer.
Je me suis autorisé cette liberté dans le cadre du concours d'écriture en me disant qu'après tout, je n'avais rien à perdre.
Lauréate du concours d'écriture de Fontenoy-la-Joûte 2024
J'ai eu le plaisir en retour de figurer parmi les lauréats de la catégorie adulte et de voir mon texte publié dans le recueil édité par l'association Les Amis du Livre.
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Les mots peuvent être une arme de pouvoir, un outil de réflexion, ils peuvent émouvoir...
ici, je me suis simplement amusée avec eux.
Ci-dessous, le texte Mots Casés
Un mot m’a raconté qu’il voulait prendre l’air, alors il s’est affranchi des règles de la sainte mère l’orthographe et s’est transformé en lettre. De air, il est devenu R. Sa transition était faite. Et il s’est rendu compte que ses pouvoirs s’étaient démultipliés en passant de mot à lettre. Par exemple, en se glissant dans le mot mot, il le fait désormais devenir mort. Le mot devenu lettre détenait donc maintenant le pouvoir de vie ou de mort sur ses anciens congénères.
Un autre mot m’a raconté qu’il n’était pas d’accord avec cette supposée supériorité des lettres sur les mots. Il dit qu’un jour, lui et ses camarades de promotion se sont couchés sur le papier et qu’en les lisant, un amoureux éperdu s’était donné la mort - et qu’une lettre seule, aussi belle et originale soit-elle, n’aurait jamais ce pouvoir.
Il est vrai que parfois, une lettre peut remplacer un mot, si l’on tolère quelques écarts avec les règles de la langue française. On a bien vu quelque fois un M se faufiler à la place d’un aime, à côté des petits je et t’.
Le mot se joue allègrement des écriteurs en herbe, par exemple avec ses cousins foie, foi et fois. Je lui dis souvent que l’on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui, alors depuis, il laisse un peu tranquille tous les dys. Pas les dysharmoniques ou les dyschromiques, non je parle là des dyslexiques, dysorthographiques et autres dyscalculiques.
Les préfixes sont susceptibles, que voulez-vous que je vous dise ? C’est comme ça depuis toujours et cela ne changera jamais. Même entre eux ils se chamaillent sans arrêt. Heureusement que les trois-cents qu’ils sont ne se retrouvent jamais sur une même page ! Je serais bien séduite par l’idée de tenter l’expérience ici, mais ce serait un vrai capharnaüm. Et je ne vous raconte pas quand ils croisent un suffixe, alors là c’est carrément n’importe quoi ! Ils deviennent incontrôlables. Il arrive de temps en temps qu’un préfixe s’approche d’un suffixe sans faire d’histoires, mais ce n’est rendu possible que si un radical accepte de jouer les tampons au milieu. Un jour, j’ai croisé un certain ordinaire qui m’a fait le récit détaillé de sa rencontre avec extra- et -ment. Certains appellent cette formation un adverbe, moi j’appelle cela un trouple. Et l’art de s’aimer à trois, cela ne s’apprend pas, cela se vit. Alors, ma foi, j’ai préféré les laisser à leurs occupations.
Certains mots, comme le célèbre capharnaüm cité plus haut, prennent le melon. Parce qu’ils ont été créés à partir d’un nom propre, ils se croient tout permis et émettent des flatulences plus haut que leur Q. Bon, là aussi c’est vrai, un mot peut être remplacé par une lettre. Enfin, quand ses compères synonymes ne sont autres que porcherie, désordre, bazar et chantier, il n’y a pas de quoi se vanter.
Non pas que chantier soit un gros mot, mais s’il est utilisé par votre mère pour parler de votre chambre, ne vous y trompez pas, ce n’est pas un compliment.
Non, parce que les gros mots, les vrais, on ne peut pas les louper ! Sortis inopinément de la bouche d’un automobiliste ou au beau milieu d’une dispute entre extra-, ordinaire et -ment, ils peuvent faire mal aux oreilles. Ces armes verbales sont des marginaux. Ils ne respectent aucune norme, et ce depuis la nuit des temps. Déjà au Moyen-Âge, on croisait leurs aïeux. Cela dit, si les mots grossiers évitent d’en venir aux mains, ce n’est pas une mauvaise chose.
Chaque mot a son utilité dans le biotope du vocabulaire et du langage. Ils se régulent et gèrent en autonomie leur population. Certains extérieurs ont bien essayé de les ranger dans des cases, de leur infliger le droit d’exister ou l’obligation de disparaître, mais ils se fichent pas mal de l’Académie française et de son dictionnaire. Ce recueil de mots ne ressemble-t-il d’ailleurs pas davantage à un cimetière graphique qu’à une vitrine flamboyante ? Aucun son n’en sort, les mots qui y sont couchés sont, semblent-ils, morts.
Lisa Herrbach
Publié pour la première fois par le Village du Livre de Fontenoy-la-Joûte.
Texte primé lors du Concours d'Ecriture de 2024.
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